RÊVES ET DESTINS BRISÉS
Mardi 27 Septembre 2005
Chady H.A
Abbas Badreddine. Ce nom ne vous dit probablement pas grand-chose. Pourtant, celui-ci est inscrit dans les annales de la tragédie libanaise, laquelle ne date hélas pas d'aujourd'hui. Ce journaliste est, en effet, l'une des victimes du début de la première guerre du Liban. Une figure du passé dont les souffrances ne diffèrent pas du martyre libanais de ce mois de juillet noir.Abbas Badreddine est entré dans le panthéon des plumes brisées par la violence et la tyrannie à l'instar de nombreux hommes politiques, journalistes et intellectuels tragiquement emportés, près de trois décennies plus tard et dans un autre contexte, par des attentats ...: les regrettés Rafic Hariri, Samir Kassir, Georges Haoui et Gébrane Tuéni pour ne citer qu'eux. Je me décide à écrire sur Abbas Badreddine pour plusieurs raisons.D'une part, cette démarche entre évidemment dans le cadre d'une série d'articles et de commentaires engagés que j'ai écrits sur le liban et motivés, il va de soi, par la crise actuelle que traverse mon pays d'origine.Il me tient à cœur de parler du Liban, de ses esprits sacrifiés sur l'autel de la démocratie et de la lutte pour la liberté, de ceux et celles qui se sont battus et sont morts pour la création d'un « Liban libre ». D'autre part, je voudrais rendre hommage à Abbas Badreddine car cet homme fait partie de ma famille, et son tragique destin demeure l'un de ses plus inconsolables malheurs. Abbas Badreddine est mon grand-oncle, le frère cadet de ma grand-mère paternelle, un journaliste brillant que je n'ai malheureusement pas eu la chance de connaître. C'est un concours de circonstances qui voulut que je me lançasse dans des études de journalisme, et par là même dans le sillage de cet oncle, bien que mon choix eût quelque peu effrayé ma grand-mère au départ. Elle exprimait des réticences naturelles puisque le journalisme et la politique lui avaient pris, d'une certaine manière, son frère adoré. Elle ne voyait pas d'un bon oeil mon intérêt pour la politique, milieu redoutable et malsain par excellence. Elle craignait sans doute que l'histoire familiale ne se répétât pour moi... Il y a quelques mois, je décidai, avec l'aide d'un de mes oncles, de traduire une petite biographie qui était consacrée à Abbas. Badreddine dans un journal en langue arabe et de la publier ensuite, avec l'assentiment de ma grand-mère, dans l'encyclopédie Wikipédia. Voici donc en deux paragraphes, la biographie de cet homme (également consultable sur "wikipédia"), un destin étroitement lié à l'histoire de son pays, le Liban, et aux premiers tumultes qui le secouèrent: Abbas Badreddine (ou Abbas Bader El Dine) était un journaliste libanais né en 1938 à Nabatiyeh (Sud Liban) et disparu après une visite effectuée en Libye le 25 août 1978. Il était l'époux de Zahra Moussa Yazbek avec laquelle il eut trois enfants : Fadel, Nadine et Zaher. Cette union fut célébrée par l'Imam Moussa Sader ( nb : célèbre figure du chiisme libanais dont je parlerai dans cet article) dont il était à la fois l'ami proche et le conseiller souvent chargé de missions délicates. Il l'accompagna lors de ses nombreux déplacements à l'étranger jusqu'en 1978, date à laquelle ils disparurent mystérieusement. Après des études secondaires à Nabatiyeh sa région natale, Abbas Badreddine intègre l'Université jésuite Saint Joseph de Beyrouth d'où il sortira diplômé en littérature arabe. Journaliste auprès de plusieurs agences et au journal "Al Mohaher" de mouvance panarabe et socialiste, il fonde en 1959 la "Wakalett Akhbar loubnan" ou "Agence d Information du Liban". Présenté comme un homme très intelligent, sociable et intègre, Abbas Badreddine était très aimé et respecté par ses confrères et ses proches. Vu pour la dernière fois en compagnie de l'Imam Moussa Sader et de Yacoub le 31 septembre 1978, Abbas Badreddine disparaît à l'âge de 40 ans avec les deux hommes lors d'une visite en Lybie dans des circonstances encore non élucidées. Abbas Badreddine eut le malheur d'accompagner un ami et leader autant adulé par la communauté chiite du Liban que considéré comme dangereux pour les intérêts géopolitiques de nombreux dirigeants du moyen-orient : l'Imam Moussa Sader.Pourquoi et oú les trois hommes ont-il disparu ? De nombreuses pistes et hypothèses ont été envisagées, puis écartées ou alors jamais vraiment confirmées. Au-delà des faibles résultats des diverses enquêtes relancées depuis 28 ans, il ne fait pas de doute que cette disparition/(ou triple meurtre??... ?) profita à de nombreux leaders et régimes de l'époque. L'esprit conciliateur et pacifiste de l'imam, hostile aux agissements de l'Olp et des milices palestiniennes armées au Sud Liban en fit en quelque sorte l'ennemi à abattre pour les dirigeants palestiniens ... qui auraient demandé (première hypothèse) au colonel Kadhafi d'en finir avec ce leader dérangeant. D'autres hypothèses ont circulé, on a parlé d'une exécution de Sader à la suite d'un ordre écrit mal interprété mais également d'une violente dispute entre Khadafi et l'imam qui aurait conduit le colonel à faire( assassiner ses trois hôtes). Jusqu'à présent les relations diplomatiques sont (mi)tendues entre le Liban et Kadhafi jugé responsable de cette disparition. Nul ne sait vraiment si les trois hommes sont morts ou sont encore détenus dans les geôles libyennes.
(alors que les familles et les guides religieux libanais en sont confients et certains qu ils sont vivants et en lybie suivant leur sources ou references et cela est mentionne dans l agence(agence dinformation du liban))
Les autorités libyennes avaient affirmé le 18 septembre 1978 que l'imam avait quitté la Libye pour l'Italie dès le 31 août 1978, ce que le gouvernement italien s'empressa de démentir en affirmant que l'imam Sader n'était jamais entré sur son territoire. En 2004, il y eut un rebondissement inattendu dans l'affaire : le passeport de Moussa Sader fut retrouvé à Rome après la signature d'un important accord sur l'immigration entre la Libye et l'Italie. Cependant, nul ne sait s'il s'agit d'une véritable piste ou d'un coup monté par les services libyens pour se décharger des soupçons qui pèsent sur leur régime. Pour mieux comprendre les circonstances de la disparition de Moussa Sader, Abbas Badreddine et Yacoub, il convient de revenir brièvement sur les évènements politiques qui la précédèrent au Liban ainsi sur que le statut politique de l'imam.Il serait certes un peu long de revenir intégralement sur le passé des chiites au Liban (qui furent en quelque sorte les mal-aimés du pays pendant des siècles, ses « parents pauvres » depuis l'époque de l'empire ottoman) et sur le rôle prépondérant que l'imam joua, tant dans leur reconnaissance sociopolitique par le pouvoir central que dans l'amélioration de leurs conditions de vie. Ce qu'il faut donc principalement retenir de l'oeuvre et du parcours de l'imam Moussa Sader, c'est que ce dernier contribua à faire sortir les libanais chiites de leur isolement politique en réussissant plusieurs tours de force politiques: d'abord par la formation du « CSC » en 67 (Conseil supérieur chiite), institution dont la fonction était de représenter et d'affirmer l'identité et les droits des chiites au Liban, puis par le « Mouvement des déshérités » en 74 qui avait pour mission d'endiguer le sous-développement économique et social qui touchait le sud. On présentait volontiers l'imam Sader comme un homme au charisme fascinant, un religieux modéré et un fin politique qui privilégiait le dialogue interconfessionnel et voulait à tout prix éviter que la guerre n'éclate au Liban. À l'époque, le Sud Liban connaissait de nombreux troubles puisque des opérations y étaient menées par les Fedayins palestiniens (réfugiés au Liban après les premières guerres israélo-arabes) contre Israël et les représailles israéliennes visaient à leur tour le Sud, zone à forte densité populaire chiite. Ces escarmouches finirent par créer un climat d'instabilité, de nombreux exodes des chiites vers Beyrouth et des conflits entre libanais et réfugiés qui allaient, quelques années plus tard, culminer dans une guerre interconfessionnelle interminable provoquant l'embrasement de tout le Liban. C'est dans un contexte d'insécurité et de violence au Sud, que Moussa Sader fonda la milice AMAL (« ou espoir », acronyme d' « Afwaj al Mouqawama al Lubnaniya ») dont l'objectif était d'assurer l'autodéfense de la communauté chiite face aux agressions militaires menées de l'extérieur et de l'intérieur du Liban. Les chiites étaient devenus malgré eux les victimes collatérales de l'exportation du conflit israélo-palestinien au Sud liban. En mai 1975, lorsque la guerre civile libanaise éclata, Sader refusa d'engager les forces du mouvement AMAL dans le conflit et il s'éfforça en vain de mettre fin à la guerre en s'adressant aux représentants des diverses communautés du Liban. « L'arme ne résout pas la crise, mais augmente la déchirure de la nation » déclarera t-il. Suite à la première invasion Israélienne du Liban Sud en mars 1978, Sader entreprit une série de visites officielles dans de nombreux pays arabes comme la Syrie, la Jordanie et l'Arabie saoudite pour stopper l'escalade militaire. Sa dernière destination fut la Libye(allie profendemment avec les combattants de P.L.O palestiniens ), le 25 août 1978, en compagnie du journaliste-chef editeur Abbas Badreddine (qui a souvent ecrit contre les actions militaires palestiniennes au sud et aux montagnes libanaises ou les conflits militaires syrio-P.L.O ont eu lieu(agence dinformation du liban)) et de Yaakub.
On les vit là-bas pour la dernière fois le 31 août 1978.La disparition de l'imam Sader, d'Abbas Badreddine et Yacoub, c'est en résumé l'histoire d'un voyage de la dernière chance, un périple qui aurait peut-être pu éviter, de l'avis de nombreux libanais, que le pays des cèdres ne connaisse quinze longues et cruelles années de guerre civile et que nous assistions encore en 2006 à des horreurs que le Liban croyait révolues. D'un point de vue familial et affectif, il n'y a rien de pire que de ne pouvoir faire le deuil d'un proche, il n'y a rien de pire que l'incertitude. Sont-ils morts ou encore vivants? Leurs familles, ma famille, ne sauront sans doute jamais ce qu'il advint d'eux.Cette disparition fut douloureusement vécue par les proches d'Abbas Badreddine, notamment par sa sœur Zeinab Badreddine, ma grand-mère, dans sa chair et son coeur. Cet article est dédié à mon grand-oncle Abbas Badreddine, à l'imam Moussa Sader et à tous ceux, civils, hommes d'État et intellectuels d'aujourd'hui et d'hier, qui ont payé de leur liberté et de leur vie le grand combat pour la vérité, la justice, la paix et l'avenir de leur pays.
Chady H.A " le droit de savoir et le devoir de mémoire" que j'ai écrit lorsque l'enquête menée par la commission Mehlis sur l'assassinat de Rafic hariri battait son plein. Ce texte fut publié dans le journal libanais francophone "l'Orient le Jour" du mardi 27 septembre 2005

